
Le grand scandale de ce qu’il faut bien appeler l’affaire Blum, ce n’est pas l’écorchure du socialiste, ce n’est pas l’émotion des gauches, ce n’est pas la dissolution des ligues, ce n’est pas le cortège expiatoire du Front populaire : le vrai scandale, c’est l’attitude des députés de la droite.
Voilà longtemps que je pense que dans la bassesse et dans la sottise, la droite n’a pas grand chose à envier à la gauche. Voilà longtemps que je pense que les ennemis de toute restauration nationale ne sont pas seulement à gauche, mais d’abord à droite : qu’on saurait, dans une monarchie forte, utiliser tel ou tel député de gauche, et même d’extrême gauche qu’il se nomme Doriot ou Bergery, mais qu’il faudra d’abord se débarrasser de ces fantoches bien-pensants, de ces hurluberlus au cœur sensible, de ces froussards et de ces imbéciles qu’on appelle les députés de la droite. Cette fois, la preuve est faite, surabondamment, et en deux temps.
Nous avons vu la droite, entrainée par Xavier Vallat, se lever toute entière pour flétrir « l’odieux attentat » – cet odieux attentat sur lequel nous n’avons pas à exprimer notre opinion, parce que, comme la plupart des Français, NOUS NOUS EN FOUTONS. Nous avons vu Franklin-Bouillon frappé au cœur parce qu’on avait touché à un député, donner la mesure d’une naïveté déjà bien connue, en mettant les points sur les i et en déclarant qu’on ne saurait admettre que les représentants du peuple fussent bafoués. Nous avons vu le pasteur Soulier bredouiller, se faire huer par les communistes, et pourtant s’associer à la « flétrissure ». Ah ! quelle belle séance !
Et puis, la réflexion est venue à ces messieurs. Ils ont parlé, ils ont défendu la liberté. Je ne sais pas si cette attitude ne me dégoûte pas encore plus. Ce bistro sonore, qu’on appelle Philippe Henriot cette belle voix creuse qui fait de lui le Briand de la droite, ce camelot sans cervelle, s’est fait gifler dans les couloirs par un communiste, et n’a répondu que par quelques phrases hautaines. Quant à Franklin-Bouillon, il n’a même pas entendu le président du Conseil le traiter publiquement de salaud, et il s’est contenté des dénégations que lui a accordées dédaigneusement ce gorille lubrique, hanté par l’image de sa virilité, et qui joue au grand homme comme il joue au Sphynx, au mâle infatigable. Quand Léon Blum rentrera, Franklin-Bouillon tombera dans les bras du gorille, au lieu de lui casser la gueule, et toute la Chambre rendra hommage à cette belle scène de « réconciliation française ».
Dans cette revue qui n’a d’autre raison d’être que sa véritable indépendance, il faut dire que c’est cela qui nous dégoûte. Un Léon Blum, un Herriot, nous paraissent assurément quelques-uns des exemplaires les plus répugnants de l’humanité. Mais il ne faut pas qu’on nous croit prêts à marcher pour quelques autres, qui nous déplaisent presque autant. Parfois, il leur arrive de prononcer une parole raisonnable, de rendre quelque service : croit-on par hasard que cela n’arrive pas non plus à d’autres ! Nous prendrons notre bien où il est. Mais des séances comme celles de février prouvent combien les hommes sont méprisables. Non, nous n’avons aucune admiration pour ce brave homme postillonneur : embarrassé, et cravaté de sottise larmoyante et d’étoffe à pois qu’on appelle Louis Marin ; aucune admiration pour Henriot le giflé ; aucune pour ce personnage d’Edmond Rostand qu’est Franklin-Bouillon. Nous n’aimons pas tous ces « dédouaneurs » de criminels et de traîtres, ces libéraux tremblants qui veulent se donner le beau rôle et tendent leur cul aux joyeux coups de pied de la gauche. Car ils les recevront ces coups de pied, et leur habitude humble et convexe ne changera rien : ils les recevront et nous diront encore que l’honneur français, que la chevalerie française, et même par dessus le marché la sagesse et la prudence française exigent cette humilité et cette convexité. Ils ressemblent à ces curés hantés par l’idée des « gains acquis » ou à acquérir. Dans la prochaine guerre, ils pleureront, à Bordeaux ou sur la Bidassoa, parce que le cabinet Léon Blum ou le cabinet Marcel Cachin leur aura proposé l’Union Nationale : ils pleureront, mais ce sera de joie et d’attendrissement.
Ces vieux cocus de la droite, ces éternels maris trompés de la politique, il vient un moment où leur attitude cesse d’être grotesque pour devenir ignoble. C’est calomnier la jeunesse française que de croire qu’elle est derrière ces gens-là, comme de croire qu’elle est derrière les grands trusts industriels, les marchands de canons, de pétrole ou d’électricité. Le gouvernement dont nous rêvons, c’est celui qui met Fouquet à l’ombre, et qui se montre magnifiquement ingrat envers Jacques Cœur. C’est aussi celui qui, en même temps que des Herriot, des Blum, des Chautemps, des jeunes-turcs radicaux, nous débarrassera de ces vieux pantins déplumés, de ces poupées flétries et chauves, – des cocus de la droite.
Robert BRASILLACH.
(Combat, mars 1936.)