
Vous vous inquiétez pour vos enfants, ma chère Angèle, de savoir combien de temps dureront les vacances de Noël, et à quelle date exacte elles commenceront. Déjà vous avez eu de pareilles inquiétudes lors de la Toussaint, et toutes les familles françaises se sont demandé comme vous: « Aurons-nous le jour des Morts ? ». Il y a comme cela, dans l’année, un certain nombre de problèmes graves, qui font souffrir élèves et parents. Vous n’êtes pas seule à le déplorer, et à regretter que ces vacances variables ne soient point fixées au début de l’année. Pour ma part, j’ai vu sans déplaisir une importante délégation de parents aller trouver leur grand maître, je veux dire M. Jean Zay, afin de lui exposer leurs doléances, et lui exprimer le regret qu’il faille attendre à la dernière minute pour savoir si l’on jouira dans les lycées d’un malheureux samedi ou d’un pauvre lundi.
Le prince de l’enseignement a été magnanime et n’a pas dédaigné de s’occuper de questions aussi infimes. Mais vous vous étonneriez, ma chère Angèle, si un esprit aussi sublime s’était contenté de cela. M. Jean Zay, il l’a prouvé souvent, sait deviner l’essence sous l’apparence, décèle rapidement un auteur d’avant-garde dans la personne de M. Edouard Bourdet, un fasciste dans celle de M. François Latour, et, sauf votre respect, quelque chose de rabelaisien dans le drapeau français.[1]
Poursuivant ses investigations métaphysiques, il s’est élevé à des considérations d’un ordre tout à fait élevé sur les fêtes légales et chômées, et, devant les parents éblouis d’un tel savoir, il a proclamé ceci:
« Cette question de fêtes est d’une haute importance. Toutefois, il se pose à un gouvernement essentiellement démocratique des problèmes dont vous ne m’avez pas l’air, pauvres palotins, de soupçonner la gravité. Que si je considère un calendrier, qu’y décou- vré-je ? Par ma chandelle verte ! les fêtes légales de notre République sont des têtes catholiques. En blêmissant, je lis, je parcours les douze mois de l’année, et qu’est-ce que je découvre : la Toussaint, la Noël, le Premier de l’An, le Mardi gras, la Mi-Carême, Pâques, l’Ascension, Pentecôte, l’Assomption. Seul le 14 Juillet est une fête véritablement laïque. Tout cela ne vous étonne-t-il pas, Messieurs ? Et comment répondrons-nous aux membres des autres confessions qui viendront nous réclamer des congés ? Palsambleu, il n’y a pas seulement des catholiques en France ! Il y a aussi des protestants, des orthodoxes, des israélites, des bouddhistes, des musulmans. Nous devons faire aussi quelque chose pour eux. »
Ce ne sont peut-être pas exactement les termes dont s’est servi l’honorable M. Jean Zay. Je puis toutefois vous affirmer, ma chère Angèle, que ce sont bien les fêtes qu’il a énumérées, et aussi les confessions religieuses qu’il prétend servir. Vous comprendrez que devant une telle éloquence et un libéralisme aussi savant, les parents d’élèves n’ont pu que s’incliner. Je ne crois pas qu’il y en ait eu un seul, devant des beautés aussi éminentes, pour répliquer au ministre qu’ils s’étaient réunis en sa présence pour tout autre chose, et que l’existence de fêtes non-catholiques n’empêchait nullement de fixer d’avance certains jours de sortie pour les internes. Et cependant, ma chère Angèle, cette énumération m’a fait tomber dans une profonde rêverie. Je ne suis point spécialement clérical : est-il pourtant bien honnête d’accuser l’Eglise catholique de réclamer des jours chômés pour honorer tant de fêtes ? Parmi elles, je n’en découvre que trois (la Toussaint, Noël et l’Assomption) qui tombent à des jours fixes, et exigent certaines libertés. Encore l’Assomption, à la date du 15 août, est-elle hors de cause. Mais où a-t-on vu l’Eglise réclamer de chômer le Mardi gras? Et la Mi-Carême ? Et le Jour de l’An ? Et les lundis de Pâques et de Pentecôte ? Pâques et Pentecôte eux-mêmes ne tombent-ils pas un dimanche ? L’Ascension n’est- elle pas un jeudi ? Vraiment M. Jean Zay, qui a toutes sortes de raisons pour cela, m’a l’air d’ignorer un peu les règles d’une religion encore assez pratiquée en France.
Il est bien vrai qu’il s’intéresse aux autres confessions. Et là encore, je tombe dans un abîme de perplexité. Les protestants, s’ils ont des fêtes, n’ont-ils pas les mêmes ou à peu près (et plutôt moins) que les catholiques ? En pays protestants, la grande fête religieuse n’est-elle pas Noël? Je veux bien que la situation soit différente pour les Israélites. Mais enfin, M. Jean Zay connaît-il beaucoup de citoyens français, malgré l’afflux de Russes émigrés, à être de confession orthodoxe ? Connaît-il, en France continentale, beaucoup de musulmans ? Connaît-il surtout beaucoup de bouddhistes ?
Là, je m’avoue vaincu. Qu’on songe à transformer le calendrier pour donner satisfaction aux bouddhistes, ma chère Angèle, me semble faire passer sur notre terre un délicieux vent de folie, analogue à celui qui bouleverse le monde des dessins animés ou des comédies burlesques américaines. Je jure devant toutes les divinités que l’on voudra que je n’ai rien contre le bouddhisme. Je suis persuadé que les bouddhistes sont de très honnêtes gens. Mais je me demande seulement s’il y a beaucoup de bouddhistes en France, et si M. Jean Zay a souvent à trancher, au milieu de son sanhédrin, les difficultés qui s’élèvent entre le grand lama d’Orléans et le Bouddha vivant de Montargis ? Je lance de toute ma force un appel aux bouddhistes français pour leur demander si véritablement il importe de célébrer le Jour de l’an au 17 mars ou au 21 janvier, et s’ils exigent trois jours de jeûne dans les lycées pour la résurrection de Gantâma.
Tout cela, ma chère Angèle, vous paraître peut-être plaisant, et je ne ferai point de difficulté pour avouer que dans notre cirque, M. Jean Zay tient une place éminente. Mais après avoir ri, comme aux comédies de Molière, il convient de réfléchir un peu et vous conviendrez que le discours du prince et seigneur de l’Université française peut donner à réfléchir. C’est avec des raisonnements analogues qu’on gouverne la France, avec des raisonnements où tout est bafoué, la logique et l’expérience. Je ne proteste au nom d’aucune tradition: si M. Jean Zay venait nous expliquer qu’il faut organiser les vacances des lycées suivant des règles plus rationnelles, établir par exemple les congés de Pâques à une date fixe, on pourrait discuter, on n’aurait pas à s’indigner. L’Eglise elle-même ne réclamerait rien qu’un dimanche. Mais entendre le maître de l’enseignement expliquer que le Mardi gras est une fête catholique, l’entendre réclamer pour les orthodoxes et pour les bouddhistes, avouez que cela passe l’entendement. Un ton aussi sérieux, une approbation aussi totale (comme notre ministre est hardi ! comme il est tolérant ! comme il a des idées neuves !), donnent, il faut l’avouer, une triste idée de nos gouvernants et de la manière dont ils sont acceptés.
Que M. Jean Zay s’occupe de l’instruction publique, du Théâtre Français, ou de la France tout court, il le fait avec la même autorité imperturbable et la même masse d’arguments délirants. Il cite des mots, il invente des faits, avec la précision grandiose des plus énormes farces. C’est un conseiller du Père Ubu, que tout le monde, par malheur, prend au sérieux.
Pour ma part, ma chère Angèle, j’ai une proposition à vous faire. Soumettez-la à vos amis bouddhistes. Puisque M. Jean Zay est choqué que l’Eglise catholique ait fait du Mardi gras une fête de sa confession, pourquoi les bouddhistes français ne prendraient-ils pas l’initiative d’une pétition pour laïciser cette journée ? Elle aurait tout avantage, me semble-t-il, à être transformée en Fête nationale du Front populaire.
Brasillach fait ici allusion à un passage célèbre de Rabelais dédié au ‘‘torche cul », ainsi qu’à une parole malheureuse de Jean Zay sur le drapeau français, se rapportant au même usage. (note de l’édition)
Je Suis Partout, Lettre à une provinciale, 28 novembre 1936